3 octobre 2011
1
03
/10
/octobre
/2011
18:26
![robert-dossou-copie-1.png](http://img.over-blog.com/300x277/3/86/38/16/robert-dossou-copie-1.png)
DECISION DCC 11-065 DU 30 SEPTEMBRE 2011
La Cour Constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 27 septembre 2011 enregistrée à son Secrétariat à la même date sous le numéro 031-C/123/REC, par laquelle Monsieur le Président de la République, sur le fondement des articles 117 et 121 de la Constitution, sollicite le contrôle de conformité à la Constitution de la Loi n° 2011-25 portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin, votée par l’Assemblée Nationale le 26 septembre 2011 ;
Saisie d’une autre requête du 28 septembre 2011 enregistrée à son Secrétariat le 29 septembre 2011 sous le numéro 2145/124/REC, par laquelle Monsieur Louis VLAVONOU, député à l’Assemblée Nationale, forme devant la Haute Juridiction un " recours en inconstitutionnalité " de la même loi ;
VU la Constitution du 11 décembre 1990 ;
VU la Loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour Constitutionnelle modifiée par la Loi du 31 mai 2001
VU le Règlement Intérieur de la Cour Constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Zimé Yérima KORA-YAROU en son rapport ; Après en avoir délibéré,
CONTENU DES RECOURS
Considérant que Monsieur le Président de la République sollicite le contrôle de conformité à la Constitution de la Loi n° 2011-25 ;
Considérant que Monsieur Louis VLAVONOU expose : " … Par le vote par cinquante neuf (59) voix pour, zéro (0) contre, une (01) abstention, la représentation nationale en sa plénière des 25 et 26 septembre 2011 a voté la proposition de loi portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin, en instance de promulgation par le Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement. Comme il sera développé …, cette loi viole en plusieurs de ses dispositions, non seulement les lois républicaines du Bénin, mais également les normes internationales du travail édictées par les conventions, traités de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ratifiés par notre pays. Plus spécialement, le vote de cette loi viole les droits fondamentaux d’une catégorie du personnel de l’Etat, en l’occurrence les agents de l’Administration des Douanes. Cette catégorie du personnel de l’Etat relevant anciennement des Forces de sécurité publique par la Loi n° 94-021 du 16 décembre 1994 portant transfert de compétence relative à l’Administration de Personnels des Eaux et Forêts et Chasse et ceux des Douanes et Droits Indirects, sont désormais régis par les statuts des Agents Permanents de l’Etat ainsi qu’il est disposé aux articles 1, 3 et suivant de la loi sus-citée :
"Article 1er : Conformément à la Loi n° 90-015 du 17 juin 1990, les dispositions de l’Ordonnance n° 77-14 du 25 mars 1977, portant création des Forces Armées Populaires du Bénin sont et demeurent abrogées.
En conséquence à compter du 18 juin 1990 les personnels des Eaux et Forêts et Chasse ainsi que ceux des Douanes et Droits Indirects sont régis par le statut des Agents Permanents de l’Etat.
Article 3 : A leur égard les pouvoirs conférés d’une part au Ministre de la Défense Nationale et d’autre part au Chef d’Etat Major par la loi n° 81-014 du 10 octobre 1981, portant statut général des Personnels Militaires des Forces Armées Populaires du Bénin modifiée et complétée par la Loi n° 88-006 du 25 avril 1988, sont exercés respectivement par le Ministre du Développement Rural et le Ministre chargé des Finances." Sans se référer aux autres dispositions de ladite loi, il apparaît à la lecture combinée des articles sus-cités, la consécration de la désaffiliation définitive des forces de sécurité publique de ces agents de la régie financière. Ils ne peuvent donc pas … être valablement, à la date du vote de la loi 2011-25 soumis à votre sanction, non plus être assimilés aux forces armées. Par conséquent, aucune règle générale applicable aux personnels militaires, des Forces de Sécurité Publique et Assimilés dans les conditions légales sus évoquées ne saurait leur être appliquée, pas plus leur être opposable au sens des dispositions constitutionnelles ainsi que des acquis démocratiques de la Conférence Nationale des Forces Vives du Bénin de Février 1990.
Dans tous les cas, une telle application, ni opposition d’une loi portant règle générale ne saurait se substituer à la loi portant Statut Général des Agents Permanents de l’Etat qui seule est conforme aux dispositions de l’article 98 de la Constitution du Bénin de Décembre 1990 qui a prescrit très opportunément au législateur les matières dans lesquelles elle édicte des règles. En conséquence, le législateur ne peut, sans violer la Constitution, édicter les règles générales applicables à des personnels de l’Etat en dehors des statuts en l’occurrence le Statut Général de la Fonction Publique d’une part et le Statut des personnels militaires des Forces de Sécurité et Assimilés d’autre part, seuls cadres législatifs devant régir les droits et obligations des agents qui y sont soumis. Toute autre démarche normative est absolument contraire aux dispositions de l’article 98 sus-cité, en conséquence non conforme à la Constitution ; qu’il développe :
" En la forme
Plaise à votre haute juridiction de déclarer non conforme à la Constitution la loi portant règles générales applicables aux personnels militaires des forces de sécurité et assimilés en République du Bénin.
En application des dispositions de l’article 98 de la Constitution, il ne saurait être voté une loi portant règles générales. Cet intitulé pris dans sa forme est contraire à la nomenclature établie par les prescriptions dudit article, partant contraire à la Constitution.
Pour le moins, cette irrégularité formelle est rendue davantage critiquable et viole la Constitution lorsqu’il est formulé par le législateur au chapitre II : Des obligations particulières et des restrictions de droits des personnes militaires et des Forces de Sécurité Publique et Assimilés. Sauf erreur matérielle, dans la formulation, il est parlé de "personnes militaires en lieu et place de personnels militaires" qui renforcent la confusion du libellé essentiel de la loi portant règles générales applicables à des corps de métiers et non à des individus les composants.
Au fond
Comme il a été exposé plus haut, la loi incriminée pêche par la norme qu’elle édicte en dehors des statuts généraux des personnels concernés et, qu’aucune règle ne saurait modifier ou y déroger sans violer les dispositions de l’article 98 de la Constitution.
De même, tel que disposé en son chapitre II, cette loi prescrit des obligations et des restrictions de droits à des personnes à travers des règles générales, et n’énumère pas de façon précise et exhaustive lesdites obligations et restrictions. En prescrivant dans la généralité des obligations et restrictions de droit, le législateur procède par arbitraire et viole par conséquent les dispositions du préambule de la Constitution…
De même, le législateur, en organisant et en évitant soigneusement d’énoncer clairement les nouvelles obligations et restrictions des droits des personnels visés, a violé les prescriptions de l’article 35 de la Constitution ainsi qu’elles sont édictées : "Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun".
Cette violation est davantage consommée, lorsque le législateur, aux termes des dispositions de l’article 9 de la loi incriminée interdit tout droit de grève aux personnels visés, tandis qu’à l’article 5 de la même loi, il est reconnu explicitement aux mêmes personnels la jouissance de la liberté syndicale qui emporte obligatoirement entre autres le droit de grève conformément aux normes et règles du travail et des traités de l’Organisation Internationale du Travail. Pour le moins, le droit de grève procède des libertés syndicales. Or le législateur n’est pas sans ignorer que les forces armées dans tout pays civilisé sont astreintes de par la nature de leur fonction à ne pas jouir des libertés syndicales donc interdites du droit de grève.
Pour autant l’article 5 de la loi incriminée de façon fausse et malicieuse édicte sa reconnaissance.
… Plus spécifiquement, s’agissant du personnel de la douane, comme il a été démontré dans l’exposé des faits, cette corporation depuis le 18 Juin 1990 ne fait plus partie ni des forces armées, ni des forces de sécurité et assimilées.
Cette réalité est si évidente aux yeux et la compréhension du législateur, qu’il s’est évertué laborieusement à se fendre une proposition de loi portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République sous une générique fautive.
Aussi, a-t-il de façon rétrograde et en désespoir de cause tailler un champ d’application de ses règles pour finir par étaler malheureusement ses limites à identifier les corps constitués en arme de la nation.
C’est dans ce sens que votre haute juridiction constatera la vacuité de la formulation de l’article 1 de la loi incriminée en ses alinéas 2 et 3. Ainsi il est disposé : "sont considérés comme personnels militaires … les personnels des Forces de Sécurité Publique et Assimilés."
A l’examen de ces dispositions, le législateur considère et non établit es qualité les personnels militaires à savoir les gendarmes et les diverses composantes militaires. C’est d’ailleurs, pour parachever son exercice de destruction de l’organisation sociale des corps constitués de la République que le législateur a prévu subrepticement à l’article 11 de la loi incriminée, l’adoption des statuts spéciaux et particuliers qui dit-il préciseront les modalités de gestion des carrières des personnels concernés et d’application de la présente loi.
Indubitablement, le législateur en dépit de ses précautions légales a créé un vide juridique quant à la gestion de la carrière des agents dans la mesure où le vote de la Loi 2011-25 abroge dans toutes leurs dispositions, les statuts spéciaux et particuliers des personnels concernés. En effet, ces statuts généraux spéciaux et particuliers ne peuvent découler à présent que des règles générales édictées par la loi incriminée. Le cas échéant, l’article 98 de la Constitution est irrémédiablement violé. En termes clairs, ces règles générales concoctées sans la participation des agents concernés viennent se substituer aux statuts généraux et prévoient d’éventuels statuts spéciaux et particuliers. Dès lors, comment ces personnels seront gérés ? Plus est-il démontré que la loi portant règles générales se révèle comme un bricolage législatif dont l’objectif est inavouable. Votre Haute Juridiction sanctionnera cette courte échelle malicieuse du législateur qui confirme la violation de l’article 35 de la Constitution s’il en était encore besoin.
Du reste, il est tout à fait inacceptable dans un Etat garant des droits fondamentaux du citoyen que le législateur puisse se saisir uniquement des spécificités liées aux fonctions, aux missions, aux attributions et aux obligations selon les dispositions de l’article 2 de la loi 2011-25 pour mettre sous le drapeau des citoyens, agents de l’Etat. Votre Haute Cour constatera et sanctionnera cette violation inédite de l’article 32 alinéa 2 de la Constitution : "le service militaire est obligatoire. Les conditions d’accomplissement de ce devoir sont déterminées par la loi". Nul ne peut forcer comme carrière le métier des armes ni l’assimiler de force. " ;
Considérant qu’il précise : " Plus est, dans le cas d’espèce, l’article 26 de la Constitution prescrit à son alinéa premier ce qui suit : l’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ni de position sociale. Suffit-il d’être douanier pour se retrouver sous les drapeaux ? Tandis que les autres collègues des régies financières, telles les Impôts et le Trésor demeurent dans leur statut civil.
Il en découle une discrimination de traitement entre non seulement les citoyens, mais des personnels d’un même métier gérés par la même administration. Egalement votre Haute Juridiction devra constater cette discrimination et la censurer conséquemment.
Dans tous les cas de figure, les agents de Douane depuis la logique et raisonnable désaffiliation des Forces Armées fut-elle de sécurité publique ou assimilés, sont constitutionnellement établis comme une catégorie de personnels civils régie par le statut général des Agents Permanents de l’Etat et sont soumis intégralement aux obligations et droits prévus par les dispositions de la Loi n°86-013 du 26 Février 1986 portant Statut Général des Agents Permanents de l’Etat. Au surplus le caractère paramilitaire de l’Administration des Douanes ne saurait servir d’alibi pour dénier à la corporation son essence et caractère civil. La sémantique nous renseigne que l’assertion para signifie à côté. En conséquence, dans une hypothèse très large, être paramilitaire ne peut être synonyme de militaire encore s’interpréter comme une forme d’assimilation à une quelconque force fut-elle même de sécurité d’essence citoyenne et de maintien d’ordre. La douane dans sa spécificité et dans ses attributions reste et demeure une régie fiscale, avant tout protecteur des industries nationales pour assurer leur compétitivité au profit de l’économie nationale pour, dans un rôle, mobiliser les recettes aux portes.
Donc, le législateur se méprend sur la profession réelle de la douane, qui assure non pas seulement les recettes fiscales de l’Etat, mais plutôt est responsable de la fiscalité de porte. En définitive, c’est donc à tort que le législateur s’évertue à confondre ou assimiler le douanier à un militaire dont le corollaire de l’arme à lui confiée est de défendre l’intégrité territoriale, ou dans le cas des forces de sécurité ou assimilés, assurer le maintien d’ordre et la sécurité publique.
Le douanier même armé, n’a point telles missions républicaines. Il est armé en raison des risques qu’il court pour certaines missions essentiellement économiques qu’il assume.
Ainsi, le personnel de l’Administration fiscale de la douane reste une corporation à laquelle seul le droit commun régissant le personnel civil doit lui être appliqué." ; qu’il ajoute : " Enfin, votre Haute Juridiction devra constater et sanctionner cette violation des droits fondamentaux du citoyen, plus spécialement du principe de la présomption d’innocence, du droit de la défense et du principe du contradictoire en matière du régime disciplinaire ainsi que, le droit au travail, tels que garantis par les traités de l’OIT sur la gestion des conflits sociaux et la Constitution béninoise en ces articles 7,16, 17, 30, 3l.
En effet, sans aucune précaution et réserve requises, le législateur a intitulé avec une légèreté à nulle autre pareille le chapitre III de la loi 2011-25 : les dispositions pénales et finales.
Ainsi, il est disposé à l’article 10 : "tout agent des personnels militaires des forces de sécurité publique et assimilés qui viole les dispositions de l’article 09 de la présente loi est radié de la fonction publique".
Cet article appelle sans aucun doute la sanction de votre juridiction pour les violations constitutionnelles évidentes ci-après :
La violation de l’interdiction du droit de grève est érigée désormais par cette loi en délit ou crime puisqu’elle s’enregistre sous le chapitre des dispositions pénales de cette nouvelle loi en tout cas pour les personnels ciblés. Or, une telle prescription est contraire aux dispositions de l’article 98 tiret 4 de la Constitution du 10 Décembre 1990 ;
La radiation de la Fonction Publique s’établit avec cette disposition non plus comme une sanction disciplinaire de dernier degré mais une sanction pénale. Ce qui signifie que c’est une juridiction pénale qui devra connaître de cette violation.
Il s’agit de toute incrimination et procédure de règlement des conflits sociaux de travail contraires aux normes des traités et articles de la Constitution ci-dessus cités.
Il en résulte donc que votre Haute Juridiction devra constater ces dérives législatives et les déclarer non conformes à la Constitution." ;
Considérant que le requérant relève par ailleurs : " Au surplus, de tout ce qui a été développé plus haut, il importe de souligner que votre Haute Juridiction par sa Décision DCC 06-34 et plus spécialement la DCC 06-056 a déclaré conforme à la Constitution en toutes ses dispositions la Loi n° 2005-43 portant Statut Général des Personnels Militaires des Forces Armées Béninoises.
Par conséquent en raison du principe de l’autorité de la chose jugée et en vertu de celui du parallélisme des formes reconnu dans notre droit positif et qui n’est point déclaré non conforme à notre Constitution, seul un autre Statut Général, de Personnels Militaires des Forces Armées Béninoises pourra abroger le Statut Général objet de la Loi n° 2005-43 du 29 Décembre 2005. Par conséquent, la loi portant règles générales en ce qui concerne le personnel militaire est inopérant et non conforme à la Constitution.
De ce point de vue, tirant profit de cette jurisprudence constante de votre juridiction au regard de l’Autorité de la chose jugée et également du principe de droit relatif au parallélisme des formes, la Loi n° 2011-25 devra également être déclarée inopérante et contraire à la Constitution pour tous les personnels disposant d’un statut général. " ; qu’il demande en conséquence à la Haute Juridiction, au bénéfice de tout ce qui précède de :
constater toutes les irrégularités, fraude à la loi et violations entachant gravement la constitutionnalité de la Loi n° 2011-25 comme votée le 26 septembre 2011 ;
censurer cette loi en toutes ses dispositions et de la déclarer non conforme à la Constitution ;
se conformer au principe de l’autorité de la chose jugée et au principe du parallélisme des formes pour constater le caractère non constitutionnel de la loi 2011-25 en ce qu’elle ne peut se substituer, suppléer ou abroger les statuts généraux des personnels concernés par ses dispositions comme votées et la déclarer contraire à la Constitution. " ;
ANALYSE DES RECOURS
Considérant que les deux requêtes portent sur le même objet et tendent aux mêmes fins ; qu’il y a lieu de les joindre pour être statué par une seule et même décision ;
Considérant que les articles 57 alinéas 1 et 2, 121 alinéa 1 de la Constitution et 20 alinéas 2, 3 et 6 de la loi organique sur le Cour Constitutionnelle disposent respectivement : " Le Président de la République a l’initiative des lois concurremment avec les membres de l’Assemblée Nationale.
Il assure la promulgation des lois dans les quinze jours qui suivent la transmission qui lui en est faite par le Président de l’Assemblée Nationale… " ;
" La Cour Constitutionnelle, à la demande du Président de la République ou de tout membre de l’Assemblée Nationale, se prononce sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation. " ;
" La saisine de la Cour Constitutionnelle suspend le délai de promulgation.
La Cour Constitutionnelle doit se prononcer dans un délai de quinze (15) jours…
La saisine de la Cour Constitutionnelle par le Président de la République ou par un membre de l’Assemblée Nationale n’est valable que si elle intervient pendant les délais de promulgation fixés par l’article 57 alinéas 2 et 3 de la Constitution. " ;
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier que la loi déférée a été votée le 26 septembre 2011 ; que par correspondance n° 512/PR/CAB/SP-C du 27 septembre 2011 enregistrée à la Cour à la même date, le Président de la République a saisi la Haute Juridiction d’une demande de conformité à la Constitution de la loi sous examen ; qu’en outre, Monsieur Louis VLAVONOU, député à l’Assemblée Nationale, a saisi la Haute Juridiction le 29 septembre 2011 aux mêmes fins ; qu’en application des dispositions de l’article 57 précité, il s’est écoulé moins de quinze (15) jours après le vote de la loi ; que la saisine de la Cour par le Président de la République et par Monsieur Louis VLAVONOU est intervenue dans le délai constitutionnel ; qu’en conséquence, leurs requêtes sont recevables ;
Sur la violation des articles 32 et 98 de la Constitution
Considérant que Monsieur Louis VLAVONOU soutient que la loi sous examen viole non seulement les lois républicaines du Bénin, mais également les normes internationales du travail ; qu’il cite la Loi n° 94-02 du 16 décembre 1994 qui énonce en son article 1er alinéa 2 : " … En conséquence à compter du 18 juin 1990, les personnels des Eaux et Forêts Chasse ainsi que ceux des Douanes et Droits Indirects sont régis par le statut général des Agents Permanents de l’Etat. " ; que pour le requérant VLAVONOU, les Agents cités plus haut " ne peuvent … plus être assimilés aux forces armées " ;
Considérant que les articles 32 et 98, 11ème et 12ème tirets de la Constitution disposent respectivement :
Article 32 : " La défense de la Nation et de l’intégrité du territoire de la République est un devoir sacré pour tout citoyen béninois.
Le service militaire est obligatoire. Les conditions d’accomplissement de ce devoir sont déterminées par la loi. ".
Article 98 : " Sont du domaine de la loi, les règles concernant : …
le Statut Général de la Fonction Publique ;
le Statut des Personnels Militaires, des Forces de Sécurité Publique et assimilés …, " ;
que l’article 98 de la Constitution permet et donne compétence au législateur de fixer les règles générales concernant chaque corporation ; que le législateur peut donc voter des lois aussi bien pour le Statut Général des Agents Permanents de l’Etat que pour le Statut des personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés ; que la question de l’affiliation des Agents de la douane au personnel des forces de sécurité publique relève donc de la compétence du législateur ; qu’à ce titre, l’article 1er alinéa 3 de la loi querellée précise que " les personnels des forces de sécurité publique et assimilés sont ceux de la police nationale, de la douane, des eaux, forêts et chasse. " ; qu’il en résulte que seul le législateur qui, par la Loi n° 94-021 du 16 décembre 1994 avait opéré un transfert de compétence relative à certaines catégories d’agents, peut de nouveau réintégrer les agents de la douane dans le corps des personnels des forces de sécurité publique ; que la désaffiliation a été opérée par une loi et la réintégration procède également d’une loi ; que le parallélisme des formes a été ainsi respecté ; qu’on ne saurait dès lors évoquer la violation des articles 32 et 98 de la Constitution ;
Sur l’intitulé du chapitre II de la loi
Considérant que Monsieur Louis VLAVONOU affirme que le chapitre II de la loi sous examen est intitulé "Des obligations particulières et des restrictions de droits des personnes militaires et des forces de sécurité publique et assimilés" et viole la Constitution, en ce sens que la loi portant règles générales s’applique à des corps de métier et non à des individus ;
Considérant que dans le texte transmis à la Haute Juridiction par le Président de la République pour contrôle de conformité à la Constitution, le chapitre II est intitulé : " Des obligations générales et des restrictions de droits des personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés. " ; qu’il s’agit bien des corps de métier et non d’individus ; qu’il s’ensuit que ce moyen évoqué ne saurait prospérer ;
Sur la violation de l’article 35 de la Constitution et de la pratique de l’arbitraire.
Considérant que le requérant relève en outre qu’ " en organisant et en évitant soigneusement d’énoncer clairement les nouvelles obligations et restrictions des droits des personnels visés, le législateur a violé l’article 35 de la Constitution. " ;
Considérant que par définition, la loi est d’ordre général et impersonnel ; qu’elle fixe des règles générales, tout en laissant le soin au pouvoir réglementaire d’indiquer des précisions à chaque12 domaine spécifique ; qu’en l’espèce, la loi querellée fait état, entre autres, des obligations auxquelles sont assujettis les personnels visés, de leurs droits et des restrictions qui y sont apportées ; qu’ainsi, les articles 3, 7, 8 imposent l’obligation de servir les intérêts de l’Etat, d’apporter protection et aide aux citoyens, la loyauté, la diligence, l’impartialité, le désintéressement, le respect de la légalité républicaine, l’obligation de réserve ; que les articles 5 alinéa 1 et 6 énumèrent les droits des personnels visés par ladite loi ; que les articles 5 alinéa 2 et 9 de la loi précisent les restrictions imposées, notamment l’interdiction du droit de grève ; qu’il découle de ce qui précède qu’on ne saurait affirmer que le législateur a procédé par arbitraire ; que par conséquent, l’Assemblée Nationale n’a pas méconnu les dispositions de l’article 35 de la Constitution aux termes duquel : " Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun " ;
Sur la violation de l’article 31 de la Constitution par l’article 9 de la loi
Considérant que selon l’article 9 incriminé : " Les personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance et ne peuvent exercer le droit de grève. " ; que l’article 31 de la Constitution dispose : " L’Etat reconnaît et garantit le droit de grève. Tout travailleur peut défendre, dans les conditions prévues par la loi, ses droits et ses intérêts soit individuellement soit collectivement ou par l’action syndicale. Le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi. " ;
Considérant que la liberté syndicale permet au travailleur de défendre ses intérêts professionnels ; que le droit de grève constitue le moyen ultime du travailleur dans l’exercice de ses droits syndicaux ; que ce droit, bien que fondamental et consacré par l’article 31 précité, n’est pas absolu ; qu’en effet, est absolu ce qui est sans réserve, total, complet, sans nuance ni concession, qui tient de soi-même sa propre justification et est donc sans limitation ; qu’est aussi absolu, ce qui existe indépendamment de toute condition, de toute représentation, qui échappe à toute limitation et à toute contrainte ; qu’en disposant que le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi, le constituant veut affirmer que le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et habilite le législateur à tracer lesdites limites en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la préservation de l’intérêt général auquel la grève est de nature à porter atteinte ; qu’en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève par le constituant ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle ; qu’en raison de ce principe, les limitations apportées au droit de grève peuvent aller jusqu’à l’interdiction dudit droit aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ; qu’ainsi, l’Etat, par le pouvoir législatif, peut, aux fins de l’intérêt général et des objectifs à valeur constitutionnelle, interdire à des agents déterminés, le droit de grève ;
Considérant que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui fait partie intégrante de la Constitution du 11 décembre 1990 énonce en son article 11 : " Toute personne a le droit de se réunir librement avec d’autres. Ce droit s’exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes " ; qu’en outre, si la grève constitue un moyen légitime du travailleur pour défendre ses intérêts, le législateur et le gouvernement sont tout aussi légitimement habilités à y apporter des restrictions voire à l’interdire aux personnels d’autorité ou ceux ayant des responsabilités importantes dans des services et entreprises chargés de missions de service public ; qu’en outre, l’article 8 alinéa 2 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels précise que la garantie constitutionnelle du droit de grève " n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des Forces armées, de la Police ou de la Fonction publique." ;
Considérant que l’Organisation Internationale du Travail dans son Recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304ème rapport, cas 1719 : " L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale " ; qu’en outre, dans son 336ème rapport, cas n°2383, la même Organisation affirme : " Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. " ; qu’ainsi, l’Organisation Internationale du Travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; que l’article 8 de la Loi n° 93-010 du 4 août 1993 portant statut spécial des personnels de la police nationale, mise en conformité le 11 août 1997 et promulguée le 20 août 1997 dispose : " Les personnels de la police nationale sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance.
Ils ne peuvent exercer le droit de grève. Toutefois, ils peuvent faire partie des groupements constitués pour soutenir des revendications d’ordre professionnel. " ; que dès lors, il y a lieu de dire et juger que l’article 9 de la loi sous examen ne viole ni la Constitution ni les principes fondamentaux de l’Organisation Internationale du Travail ;
Sur la violation du principe d’égalité
Considérant qu’aux termes de l’article 26 alinéa 1er de la Constitution : " L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale. " ; que selon l’article 3 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples : " Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi. " ; qu’il ressort de ces dispositions et de la jurisprudence de la Cour que l’égalité s’analyse comme une règle selon laquelle les personnes se trouvant dans une même situation doivent être soumises au même traitement sans discrimination ; qu’en l’espèce, pour la réalisation de leur mission, les douaniers sont astreints au port d’armes au même titre que les militaires et les forces de sécurité publique ; que par ailleurs, l’article 88 du Décret n° 93-103 du 10 mai 1993 portant statut particulier des corps des personnels de l’administration des douanes et droits indirects modifié par le Décret n° 96-456 du 17 octobre 1996 énonce : " Les personnels des douanes sont astreints à l’obéissance hiérarchique la plus totale et à une rigoureuse discipline. Ils sont à la disposition permanente de l’autorité publique qui les emploie. " ; Que par ces astreintes, les douaniers ne sont pas dans les mêmes situations que les agents des régies financières que sont le Trésor et les Impôts ; qu’il en résulte qu’il n’y a pas discrimination ;
Sur la violation du principe de la présomption d’innocence, du droit de la défense et du principe du contradictoire en matière disciplinaire
Considérant que le Député Louis VLAVONOU fait remarquer que " sans aucune précaution et réserve requises, le législateur a intitulé avec une légèreté à nulle autre pareille le chapitre III de la Loi 2011-25 : ’’Les dispositions pénales et finales’’ " ; que dans le texte soumis à la Cour, le chapitre III est intitulé "Des dispositions finales" et non "Les dispositions pénales et finales" comme le prétend le requérant ; qu’il en résulte que ce moyen est inopérant ;
Sur le vide juridique
Considérant que Monsieur Louis VLAVONOU développe que " le législateur, en dépit de ses précautions légales, a créé un vide juridique quant à la gestion de la carrière des agents dans la mesure où le vote de la Loi 2011-25 abroge dans toutes leurs dispositions, les statuts spéciaux et particuliers des personnels concernés " ;
Considérant que l’article 11 de la loi querellée indique que " des statuts spéciaux et particuliers préciseront les modalités de gestion des carrières des personnels concernés et d’application de la présente loi " ; qu’il s’ensuit que les statuts particuliers doivent préciser d’une part les modalités d’application de la radiation prévue à l’article 10 de la loi, d’autre part le respect des droits fondamentaux ; qu’en outre et comme le prévoit l’article 12, les dispositions des statuts particuliers existants et qui ne sont pas contraires à celles de la présente loi demeurent applicables jusqu’à l’adoption de nouveaux statuts ; qu’on ne saurait dès lors conclure à un vide juridique ;
Sur l’ensemble de la loi
Considérant qu’au regard de tout ce qui précède, il y a lieu pour la Cour de dire et juger que l’analyse de la loi sous examen révèle qu’elle est conforme à la Constitution en toutes ses dispositions ;
D E C I DE:
Article 1er .- La Loi n° 2011-25 portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin, votée par l’Assemblée Nationale le 26 septembre 2011, est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera notifiée à Monsieur le Président de la République, à Monsieur Louis VLAVONOU, député à l’Assemblée Nationale, à Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale et publiée au Journal Officie.