Une pièce par ici, deux francs par là. Un billet pour ci, trois billets pour ça. A la fin, environ 12 mille francs quand même pour assurer une année scolaire de son enfant au CI. Sans compter les nombreux frais connexes de moins en moins facultatifs du secondaire au supérieur, il est bien juste de conclure que la gratuité de l’éducation au Bénin a désormais un coût. Et pas des moindres.
L’après prologue
Le samedi 13 octobre 2006, le Président Boni Yayi prenait, en conseil des ministres, un décret révolutionnaire, celui instituant la gratuité des écoles maternelle et primaire au Bénin. Deux ans plus tard, ce sera le tour des étudiants de bénéficier de cet avantage. La situation changera également pour les élèves filles des collèges publics du Bénin. Toutes les critiques s’accordent encore pour louer ces réformes jugées convenables. Cependant, loin de libérer les parents du joug financier, les responsables en charge des écoles, collèges et universités ont trouvé de justes moyens pour en rajouter à la peine des parents d’élève.
Le prix de la gratuité
Josephine Agbohounka, une ménagère habitant le quartier Banikanni à Parakou se réjouit de n’avoir payé « que la modique somme de 500 F CFA », pour inscrire la petite Belvida en Cours Initial (CI). Suivant certaines explications qu’elle tient de l’administration de l’Ecole Primaire Publique de Banikanni Rose Croix, elle n’aurait même pas à payer cette somme si l’école n’avait besoin d’un peu de sous pour achever la construction d’un bâtiment. Au Collège d’Enseignement Général Hubert Maga de Parakou (Borgou), les filles des classes de 6e, 5e et 4e paient une somme de 9.800 f au titre des souscriptions. Sans cette gratuité, elles auraient payé en complément 7.000 f comme droit de scolarité. Cependant, elles sont assujetties au paiement de frais connexes que sont 1.500 f pour le tee-shirt de sport, 800 f pour la carte d’identité scolaire, 300 f pour l’Union des Associations Sportives (UASES) et 200 f pour le bureau des parents d’élèves. Au CEG Albarika de la même ville, elles paient 9.500 f au titre des souscriptions, quand bien même ces souscriptions sont uniformisées au taux de 7.000 f dans tout le département. C’est d’ailleurs ce tarif qui est appliqué au CEG Titirou situé dans la même ville. Au CEG Adrien Dégbey de Sè (Mono), les filles des classes de 6e, 5e et 4e paient, malgré la gratuité, comme souscription 4.250 f mais doivent également payer 4.000 f comme frais de construction de salles de classe et 1.400 f pour la tenue de sport et l’organisation des journées culturelles. Le cas de l’Ouémé, cité par certaine presse, montre que les filles du collège Application paient 10.600 f ; celles du lycée des jeunes filles versent 7.400 f à l’inscription. « Des fois, j’ai envie de fuir, partir quelque part pour oublier tout ça » nous a confié Ramane Aboudou, un parent d’élève vraisemblablement dépassé par la situation. Cela montre qu’inscrire un enfant, aussi gratuitement que cela puisse paraître, n’est que le premier pas de tout un processus devant permettre à l’élève de passer en classe supérieure. Des cahiers d’activité à acheter, des ouvrages à acquérir et des photocopies à faire durant toute l’année. Dans les universités, la situation est scandaleuse. Outre les photocopies, certains enseignants éditent des polycopies qu’ils imposent par tous les moyens de pression aux étudiants. Des frais de travaux dirigés par ici, d’autres cotisations par là. D’ailleurs, les frais de retrait des relevés de note et attestions de diplômes sont toujours sujets à polémique à l’Université de Parakou. C’est à ce prix que les béninois s’instruisent «gratuitement».
Les effectifs gonflés à bloc, sans mesures d’accompagnement
La gratuité de l’éducation à la maternelle et au primaire a induit un véritable accroissement des effectifs dans les écoles. Les statistiques obtenues dans les circonscriptions scolaires des départements du Borgou et de l’Alibori en disent long. A la rentrée scolaire 2010-2011, le nombre d’inscrits en Cours Initial (CI) s’élève à 82.540 alors qu’il était à moins de 50.000 avant le décret du 13 octobre 2006. Curieusement, nous avons 79.580 en Cours Préparatoire (CP) et 71.760 en Cours Elémentaire niveau 1 (CE1). Ces chiffres montrent que le nombre d’élèves va augmentant. Par ailleurs, le nombre de filles inscrites, depuis cette réforme est également notable. Elles étaient par exemple 26.288 à prendre l’année dernière les chemins de l’école dans les départements du Borgou et de l’Alibori contre 27.270 pour le compte de cette année scolaire. Cela reflète la conséquence positive de cette décision sur la fréquentation de nos écoles. Parallèlement, cette réforme aura surtout permis à certains parents d’envoyer à l’école des enfants qu’ils n’auraient jamais confiés à un enseignant à cause de leurs tares déjà remarquables à ce jeune âge. Ils sont donc nombreux ces enfants qui remplissent les classes d’écoles, ceux-là mêmes qui, pour la plupart sont poussés en classe supérieure par des enseignants jusqu’au moment où ils viennent dans une classe d’examen. Bref, on entre désormais à l’école, dira Jérôme Carlos, comme dans un « moulin ».
De profondes analyses ne peuvent pas encore à ce stade être faites au cours secondaire puisque les filles des classes de 6e, 5e et 4e depuis cette année n’ont pu bénéficier de la gratuité au primaire. Il nous faudra donc attendre encore quelques années. Pourtant, cette gratuité a des conséquences certaines sur l’inscription des filles au collège. La situation est plus perceptible dans les campagnes, régions dans lesquelles les parents se préoccupent plus de l’éducation des garçons que celle des filles. Désormais, un père qui craignait de dépenser pour l’inscription d’une fille qui pourrait lui revenir quelques mois plus tard avec une grossesse ne perd plus rien à l’envoyer au collège. Un soulagement certain sur des plans mais également une situation qui cache ce qui attend véritablement les parents d’élève au-delà de cette gratuité.
Dans les universités publiques du Bénin, la situation est pareille depuis 2008. Le Chef de l’Etat a déchargé les étudiants des frais d’inscription qui s’élevaient à 15.000 F Cfa pour les étudiants ne bénéficiant d’aucune allocation universitaire. Du coup, les bacheliers qui n’ont jamais rêvé d’aller au-delà du baccalauréat s’inscrivent. L’effectif des étudiants dans les facultés classiques de nos universités ne cessent donc de grimper. En 2007, les étudiants inscrits en 1ere année de Droit à l’Université d’Abomey-Calavi étaient seulement d’environ 7.000 étudiants contre 18.000 depuis la rentrée académique dernière. A l’Université de Parakou, ce nombre croît également. Belle réforme. Sauf que la gratuité a son prix.
Jérôme Carlos, la prophétie.
Jérôme Carlos, à travers sa chronique intitulée « Les enjeux de la gratuité de l’école » écrite et publiée le 16 octobre 2006 soit 3 jours francs après la prise de la décision en conseil des ministres, en avait loué tous les mérites. Mais, avait-il également prophétisé, l’avenir de l’éducation au Bénin si cette réforme n’était pas suivie de près. « Les parents en seront, sans nul doute, soulagés, pris à la gorge qu’ils ont été, jusqu’ici, par des taux de contributions et de souscriptions à géométrie variable » avait-il commencé avant de jeter ce qui suit.
« La nouvelle est bonne : on ne payera plus ni contributions, ni souscriptions à l’école maternelle et à l’école primaire pour compter de cette rentrée scolaire sur toute l’étendue du territoire national du Bénin…. Un pas décisif vers la gratuité de l’école…. Cela donne une mesure politique de haute portée sociale dont il convient de faire une saine lecture… Ici, faut-il le rappeler et le souligner, la moindre défaillance, la moindre faiblesse fera s’écrouler l’édifice comme un château de cartes. La gratuité à l’horizon se réduirait alors à un simple effet d’annonce, à un banal feu d’artifice destiné à amuser la galerie.
Si un accompagnement conséquent de l’Etat devait faire défaut à cette belle expérience qui s’ouvre, nous n’aurions rien fait d’autre que d’asseoir les bases d’une collectivisation de l’école, alors rendue au destin médiocre de la plantation de Monsieur et de Madame tout le monde. On pourrait alors y entrer comme dans un moulin. Avec ce que cela suppose de pagaille organisée et de désordre institutionnalisé.
Si un accompagnement conséquent de l’Etat devait faire défaut à cette belle expérience qui s’ouvre, nous n’aurions rien fait d’autre que de consacrer un système de saupoudrage de l’école, en la recouvrant d’un simple principe sans contenu, par conséquent sans effet notable. Va donc pour un vernis de gratuité appelé, du reste, à vite s’écailler à l’épreuve des dures réalités quotidiennes du terrain.
Si un accompagnement conséquent de l’Etat devait faire défaut à cette belle expérience qui s’ouvre, nous n’aurions rien fait d’autre que de transformer l’école en un vaste espace de déjections. Toute la société serait alors appelée à se libérer de ses déchets en y allant déposer et parquer ses tarés et ses dégénérés, ses débiles et ses idiots que nous serions tous devenus. Voilà l’enjeu de la gratuité de l’école maternelle et primaire dans notre pays, ceci soit en termes d’horizon».
Déjà, la descente aux enfers ?
Il est indiscutable que cette révolution enclenchée par Boni Yayi a lancé le Bénin sur une voie qu’il était encore loin d’emprunter. L’effectif ne cesse de s’augmenter alors que la subvention promise par l’Etat aux écoles en contrepartie des frais de contribution est jugée insuffisante par les directeurs. Ces derniers ne peuvent donc que se livrer à une spéculation afin d’équilibrer leur budget. De plus, le manque criard d’enseignants tant au primaire, au secondaire qu’au supérieur est en déphasage avec la révolution éducative souhaitée.
Et alors ?
C’est dans cet environnement flou et à ce prix que l’Education est gratuite au Bénin.