Une réflexion de Mamondé LEGBA
Un fait m’a particulièrement marqué cette année au Bénin. C’est le ballet, les allées et venues dans le champ de coton présidentiel. Tous les préfets, la plupart des ministres et autres personnalités du camp présidentiel et de l’ex future opposition y ont trouvé leur lieu de pèlerinage par excellence.
Pour ceux qui ne le savent pas, le président de la République du Bénin, pour donner l’exemple, a décidé de cultiver 100 ha de coton. Bien évidement ce champ exemplaire a bénéficié de toutes les attentions des techniciens du ministère de l’agriculture pour être la vitrine du (moribond) coton béninois qui a été, faut-il le rappeler, l’échec le plus retentissant de la politique agricole du président de la République Yayi Boni depuis 2007.
Ces classiques de la propagande largement sur jouées sur les chaines de télévision d’Etat ne sont pas étrangers aux plus avertis. L’Afrique est habituée aux exploits de chef d’état conduisant un tracteur dans un champ dont lui-même aurait sélectionné le moindre grain à semer…
Bien évidemment, les herbes et les feuilles de la ferme présidentielle y étaient plus vertes que dans n’importe quel autre champ du pays ; comme si, le seul nom du président de la république créait un métabolisme biologique capable d’accélérer la photosynthèse du principal pigment assimilateur des feuilles. En réalité, on aurait souhaité le même excès de zèle du ministre en charge de l’agriculture et de ses techniciens dans les champs des vrais cultivateurs béninois qui représentent 60 à 70% de la population active du Bénin et qui luttent seuls pour survivre.
Ce à quoi nous assistons au Bénin depuis quelques années est sans nulle doute, la copie conforme de cette propagande héritée des régimes marxistes … avec son lot d’intrigues, de faux soutiens qui retrouvent bizarrement, pour ce qui concerne le Bénin, toute leur lucidité quand ils parlent du régime en off … à Paris.
Ce ballet donc pour rendre hommage au ‘’père cultivateur de la nation’’ ne susciterait pas notre inquiétude s’il était isolé. Depuis 2006, année d’élection de l’actuel président de la république, les béninois, ont retrouvé avec beaucoup d’étonnement et d’inquiétude pour les plus vieux, de curiosité pour les plus jeunes, les allégeances et la ‘’divinisation’’ du président de la république comme au temps du parti unique révolutionnaire. Ces stratégies de communications, rappellent, toutes choses égales par ailleurs, certains dictateurs africains, qui pour maintenir leur peuple dans une servitude psychologique, et une vénération absolue utilisaient les médias gouvernementaux pour relayer les exploits du chef.
Dois-je citer Mobutu descendant du ciel en générique des journaux télévisés Zaïrois de l’époque. Plus proche de nous, le 13 Janvier était devenu le jour de la fête nationale en souvenirs la date où le leader du RPT aurait échappé à une tentative d’assassinat dans un clash d’avion, se retrouvant miraculeusement, tout de blanc vêtu sur une colline. La symbolique de l’immaculé élevé sur une montagne et donc proche du Tout Autre (Dieu), n’est pas qu’un détail.
Le scénario n’est pas le même mais les ingrédients y sont tout entier pour le Bénin en 2012 : tentative d’empoisonnement, drones, sortie miraculeuse, visite au Pape Benoît XVI pour boucler la boucle.
C’est bien documenté maintenant, l’histoire de toutes les dictatures paranoïaques a montré que le revirement de ces régimes fait toujours suite à un soupçon de coup d’état ou d’assassinat auquel aurait échappé miraculeusement le « père de la nation », Elu par Dieu et accessoirement par les hommes pour protéger ad vitam æternam et au prix de sa vie ce peuple que Dieu lui a confié … Tout cela pour justifier des états d’exception conduisant à des privations de libertés publiques. Mais on sait également depuis, que ces subterfuges sont des diversions pour camoufler généralement des bilans économiques et sociaux désastreux.
Ce double constat n’épargne pas le Bénin de la refondation.
Une économie en berne
Depuis 2006, le Bénin a reculé dans tous les classements de performance économique. Le chef de l’Etat a d’ailleurs confessé publiquement à plusieurs reprises « sa honte devant ses pairs de la sous-région en voyant le Bénin bon dernier avec le taux de croissance le plus faible de l’uemoa ».
La crise économique y est certes pour quelque chose mais les choix économiques (ou les non choix d’ailleurs) sans aucune vision et dictés uniquement par le ‘’tempérament du moment’’ du chef ont fait du Bénin, l’enfant malade des voisins ouest africains. L’agence de notation Standard and Poors vient d’ailleurs de mettre sa note BBB, déjà pas terrible, sous perspectives négatives.
Le classement Doing Business qui mesure la réglementation des affaires et son application effective dans 185 économies et certaines villes au niveau infranational et régional classe le Bénin en terme de Protection des investisseurs à la 158ème place en 2013 contre 155 en 2012 soit un recul de 3 points en 1 an. Dans le classement général, le Bénin est passé de la 139ème place en 2006 à la 176ème place en 2012.
Les effets d’annonce sans lendemain de lutte contre la corruption, ne convainquent non plus personne ni au Bénin ni dans les chancelleries occidentales. « Toutes les fois où Yayi aura à se rendre aux USA, à l’ONU ou dans une réunion internationale importante, il limogera un de ses plus proches collaborateurs ou ministre au nom de la lutte contre la corruption.
Mais on sait désormais que cela relève de coups de com. de plus en plus mal ficelés d’ailleurs, pour épater la communauté internationale » me confiait, un brin lassé, un visiteur du soir de la Marina. La vertu n’est surement pas du côté de certains ‘’affairistes’’ ou autres fonctionnaires véreux, mais le volontarisme affiché de Yayi semble ne pas être un engagement sincère tant la réalité de sa pratique, les affaires de corruption, et autres scandales ont émaillés son mandat.
Le Yayisme ou l’émergence d’une dérive autocratique
Les détracteur du chef de l’état résume le bilan de Yayi à cette phrase « on attendait l’émergence économique nous avons l’émergence d’une dérive autocratique ». C’est aussi cela l’autre bilan 2012 du gouvernement Yayi 2.
Les journaux télévisés des médias d’Etat sont consacrés exclusivement aux activités du chef de l’état et aux marches de ses soutiens sans que l’opposition y ait la moindre place. Plus préoccupants, plusieurs journaux dits de l’opposition ont été suspendus et des journalistes trainés devant la justice pour avoir critiqué de manière virulente, la gestion du changement.
Classique me diriez-vous en Afrique…. sauf que le Bénin, laboratoire de la démocratie en Afrique, n’a plus connu cela avec cette ampleur depuis 1990. Le ministre de l’intérieur ainsi que la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la communication interdisent aux médias et aux citoyens tout commentaire de l’actualité liée aux affaires qui pourraient embarrasser le régime pour ne laisser la place qu’à la propagande gouvernementale ; et l’objectif est clair : influencer la perception publique des événements, de façon à endoctriner ou embrigader la pensée d’une manière voulue…
Réélu par ‘’KO’’ dès le premier tour lors des dernières élections présidentielles de 2011 dont personne ne connait jusqu’à présent le corps électoral, Yayi Boni tarde toujours à envoyer des signaux de décrispation du climat politique avec la correction de la liste électorale informatisée tant souhaitée aussi bien par l’opposition que par les organisations de la société civile. Aux dernières nouvelles, l’ambassadeur de France près le Bénin dit avoir remis une copie de cette liste à l’Etat béninois (La Une de L’Informateur du 10 Décembre 2012). Ne cherchez pas l’erreur, nous sommes bien sous les tropiques. Bref,
Le navire Bénin vogue sans boussole et au gré de la seule humeur de Yayi Boni.
Tout ce cocktail met le Bénin dans une position inédite en Afrique. Ce constat autorise tout observateur de la vie sociale et politique du pays à dire que Yayi Boni a été élu en 2006 sur un vrai malentendu. Malentendu entre l’espoir d’une consolidation de la démocratie et d’un renouveau économique exprimé massivement par le peuple béninois échaudé par une fin de règne plus que problématique de Kérékou et les ambitions très personnelles de ce que j’appelle le continuum changement-refondation-désenchantement.
Vision, prévision, anticipation, voilà ce que les béninois attendaient du docteur président élu par 75% des voix en 2006 pour soigner les plaies d’un Bénin hésitant. Dans tous les cas, le régime n’aura préservé aucun des acquis de la conférence nationale de 1990 ni engagé l’émergence économique tant espéré. Il faut donc tout reprendre à zéro.
Parer au plus pressé jusqu’en 2016, en l’absence d’une opposition totalement absente.
Le trio (presque triptyque) Soglo-Houngbédji-Amoussou a décidé d’être des « spectateurs joyeux ». Dans sa versatilité légendaire, Adrien Houngbédji qui s’est toujours complu dans un compromis mou tente de sauver ce qui reste de son PRD en allant « compatir » à la Marina.
Il reste alors aux citoyens et amis du Bénin, l’indignation pour sauver ce qui peut encore l’être avant la nécessaire fin de cette parenthèse calamiteuse. Quoi qu’il en soit, en 2016, à la fin de son mandat de trop, le Bénin devra être reconstruit, pierre après pierre. Il en va de la survie de cette Nation et de l’avenir presque sacrifié de ses enfants.